La « robotisation » du système économique est en marche

Jean-Michel Billaut a écrit cet article de réflexion sur un sujet qui lui est cher : l’arrivée massive de robots de plus en plus intelligents va bouleverser notre société. Tout le monde ne sera pas forcément d’accord avec ses conclusions, tant mieux, c’est justement l’intérêt de tels billets : susciter la réflexion et le réveil de nos neurones.

La « robotisation » de notre système économique est en marche, elle a déjà commencé depuis quelques dizaines d’années.

Elle a d’abord commencé avec les robots traditionnels : les robots 1.0 que tout le monde connaît

Ces robots sont tellement présents dans notre vie quotidienne, que nous n’y faisons plus attention :


  • Ce sont les robots de services, comme par exemple les distributeurs de billets qui, à toute heure du jour et de la nuit, permettent de retirer des billets de banque. Ils accomplissent ces tâches en lieu et place d’Êtres humains qui recevaient auparavant leurs clients dans une agence bancaire pour y effectuer les mêmes opérations, et cela dans des plages horaires restreintes. Un Être humain se doit en effet de dormir, alors qu’un robot, non.
  • Ce sont aussi les robots industriels qui, rivés au sol, répètent inlassablement les mêmes opérations, en lieu et place d’Êtres humains. Ce sont par exemple les robots utilisés dans l’industrie automobile que nous avons tous vus fonctionner dans les usines de nos constructeurs.
  • Quel est le pourcentage de la richesse nationale créée imputable à ces robots ? 5 %, 10 % ? Personne ne pourrait le dire avec précision. Si d’un coup de baguette magique on supprimait tous les robots de France, combien faudrait-il embaucher d’Êtres humains pour faire ce que font lesdits robots ? Qui saurait le dire ? À mon avis – et toutes choses égales par ailleurs –, l’embauche de nos chômeurs n’y suffirait pas. L’exercice reste un peu théorique, admettons-le.

Une deuxième génération de robots arrive maintenant : les robots 2.0

Ce sont des robots humanoïdes qui marchent, courent, apportent le café (Asimo de Honda). Ce sont également des robots quadrupèdes qui portent des charges lourdes par tous les temps (le Big Dog de Boston Dynamics). Ce sont encore des robots qui viennent en aide aux « biologiques » handicapés : l’exosquelette de Cyberdyne ou les « walking devices » de Honda. Ce sont enfin les robots de services (pour ramasser nos poubelles), les robots aspirateurs (Roomba), les robots voitures (la Google car ou la Bosch car), les robots volants (drones), les robots chirurgicaux, les robots soldats, les robots qui présentent le journal télévisé, les robots musiciens (Toyota), etc.
La liste est déjà longue. Ces robots s’incrustent dans tous les secteurs des activités humaines. Et n’oublions pas le jeune robot Nao de la société française Aldebaran, un petit humanoïde, qui devrait bientôt avoir un petit frère, qui sera d’ailleurs plus grand que lui. Ce petit frère s’appellera Romeo et pourra, par exemple,être un robot de services pour personnes handicapées.

Des « robots » de plus en plus intelligents arrivent sur le marché

Le Watson d’IBM est doté d’un énorme système d’intelligence artificielle qui commence à travailler avec des médecins américains pour les aider dans l’établissement de leurs diagnostics. Certains pensent d’ailleurs que ce Watson arrivera à remplacer ces médecins à terme, ils seront en liaison avec des « sensors » équipant les Êtres humains malades ou non. La santé sera suivie en temps réel. Mais il n’y aura pas que les médecins, d’autres « sachants » biologiques seront probablement aussi concernés.
Ainsi, certains scientifiques comme Hans Moravec de Carnegie Mellon, pensent que vers 2050, les robots seront aussi intelligents que nous les « biologiques » et pour pas très cher, voire même plus intelligents. Aujourd’hui, nous avons déjà des « e-trucs », bon marché, de l’ordre du million de Mips (million d’instructions par seconde), comparables aux neurones d’une souris. Les progrès technologiques dans ces domaines sont très rapides et très puissants. Cette évolution fait dire à quelques philosophes que le Futur n’a pas besoin de nous. C’est par exemple ce que pense Bill Joy, le fondateur de Sun et du langage Java.

L’Humanité est en train de démarrer sa troisième grande révolution

La Révolution agricole que nos ancêtres ont débutée il y a 10 000 ans dans le Croissant Fertile, a pu se faire grâce à des robots d’un genre un peu particulier : les esclaves. Les estimations que nous avons montrent qu’environ 20 % de la population de ces époques reculées étaient des « robots 0.0 ».
La Révolution industrielle que nos ancêtres ont amorcée en Angleterre il y a 300 ans, a été permise grâce aux énergies fossiles et au prolétariat que certains considéraient comme une forme d’esclavage.
Les robots de tout poil seront un pilier majeur de cette troisième révolution. Si nos chefs d’entreprises commencent à utiliser ces nouvelles races de robots qui ne tombent pas malades, qui ne sont pas syndiqués, qui ne font pas grève, qui travaillent jour et nuit, et qui sont, de plus, intelligents... cela pourrait entraîner un chômage massif chez les « biologiques ». Certes, d’autres secteurs d’activité vont peut-être se développer donnant ainsi du travail à ces « biologiques » comme nous avons pu l’observer dans le passé. Mais rien n’est moins sûr, car nous sommes probablement arrivés au bout de la « destruction créatrice » chère à Monsieur Schumpeter : les robots étant en mesure d’occuper tous les champs de l’activité humaine.

Quelle sera la place de l’homme dans cette société « robotisée » ?

Si la moitié de la population française est au chômage en 2030/2050, avec au mieux des revenus maigrelets, qui va pouvoir acheter les produits que les robots fabriqueront ? Comment répondre à cette question ? Si rien n’est fait, il se peut que de graves débordements se produisent.
Faut-il, comme le pensent certains, affecter un revenu minimum par Être humain ? Créer des Clubs Méditerranée partout pour les mettre toujours en vacances ? Un nouveau système économique va-t-il se mettre en place, où les « biologiques » prendront leur destin en main ? La crise d’aujourd’hui favorise par exemple la consommation collaborative tous azimuts. Ce type de consommation va-t-il s’étendre, notamment pour la demande insolvable ? Des technologies nouvelles comme le 3D Printing pourraient-elles permettre à chacun de produire localement et à peu de frais, ce dont il a besoin ?
D’un côté donc nous aurions une offre robotisée qui produit des choses. De l’autre une demande insolvable qui ne peut pas les acheter. Dans les deux cas de figure, le système économique actuel et son soubassement capitalistique traditionnel auront quelques problèmes.
Ces thèmes sont malheureusement très peu débattus en France. Ils ne sont pas encore dans le faisceau radar de notre monde politique, syndical, philosophique, scientifique, religieux ou patronal qui fonctionne comme si de rien n’était. C’est dommage. Peut-être ne veut-on pas affoler les foules ? Peut-être que notre civilisation judéo-chrétienne nous conduit à penser que cela n’est pas possible ; pouvons-nous en effet créer nous-mêmes des
« êtres » aussi intelligents que nous, nous que Dieu a créés ? Ce n’est malheureusement pas quand nous serons
au pied du mur que l’on va pouvoir gérer au mieux ce grand chambardement dans l’Humanité. En France, une Commission « Innovation 2030 » pilotée par Mme Lauvergeon (ex-Areva) vient d’être mise en place par notre gouvernement. Espérons que ces questions y seront enfin abordées.

Jean-Michel Billaut