(Paris, le 6 juillet 2021)
Le marché de la trottinette électrique en libre-service se développe rapidement depuis 2017, porté par de jeunes start-up – principalement américaines et européennes – qui n’ont pas eu de mal à lever des centaines de millions d’euros sur les marchés financiers.
Sur ce marché encore naissant, il faut prendre en compte un double contexte: d’une part la volonté croissante de certaines municipalités – notamment françaises et britanniques - de réguler les flottes d’appareils par des appels d’offres concurrentiels.
D’autre part, un phénomène de concentration des opérateurs, conséquence de la régulation croissante de ce marché où la concurrence est rude. Parmi les nombreuses opérations de rapprochements, on peut citer le rachat de Jump par Lime, de Circ et Scoot par Bird ou encore de Coup par Tier. Avec à la clé, une réduction du nombre d’opérateurs ; au point que l’on peut se demander si les quelques grands leaders (Bird, Lime, Tier…) ne vont pas à terme avaler le reste de leurs concurrents. Tour d'horizon des principaux opérateurs.
Les précurseurs américains : des leaders fragilisés par la crise sanitaire
Bird : Fondée en 2017, la start-up californienne a connu une croissance fulgurante, devenant en 2018 la société la plus rapide à atteindre le milliard de dollars de valorisation. Considérée comme le leader du secteur – en concurrence avec Lime – Bird a été le grand perdant du passage aux appels offres régulés dans un certain nombre de municipalités françaises et anglaises, soucieuses de reprendre en mains l’encadrement des flottes de trottinettes. Ainsi, Bird a perdu des marchés prestigieux tels que Paris et Lyon en 2020. Et n’a pas été retenue dans l’appel d’offres londonien pour une expérimentation d’un an à partir de juin 2021.
La firme est surtout présente dans son pays d’origine - les Etats-Unis – à travers une cinquantaine de grandes villes du pays (Los Angeles, San Francisco, Denver, Atlanta, Charlotte, Detroit, Miami, Orlando, Portland, Memphis…) et une quarantaine de campus universitaires.
La perte de grandes villes européennes, conjuguée à une série de confinements en 2020, a lourdement impacté la société. En 2019, Bird promettait d’embaucher 1000 personnes en France afin de ne plus s’adresser à des travailleurs indépendants qui acheminaient et rechargeaient les trottinettes. Depuis, le contexte a bien changé et Bird a licencié 30 % de ses effectifs.
Ainsi, Bird a opéré un virage stratégique depuis avril 2020, en externalisant au maximum les tâches afin de réduire ses coûts. Des sociétés externes s’occupent de gérer la flotte (maintenance, recharge, repositionnement des trottinettes) et Bird leur fournit les trottinettes dont elle reste propriétaire. Or, ce modèle est beaucoup plus facile à mettre en place dans les petites villes où une seule société peut gérer à elle seule toute la flotte mise à disposition par Bird. C’est ainsi que l’entreprise a choisi de se positionner en Europe sur de petites et moyennes villes peu concurrentielles : Brétigny-sur-Orge, Orange, Villemomble, Viry-Châtillon en France ; Aprilia, Pesaro, Palerme, Rimini, Vérone, Viareggio en Italie ; Chemnitz, Gelsenkirchen, Heidelberg, Heilbronn, Ludwigshafen, Neckarsulm, Oldenburg, Pforzheim, Regensburg, Reutlingen, Winterthur en Allemagne.
Pour consolider sa présence en Europe, Bird a racheté en janvier 2020 son rival Circ (ex-Flash), présent dans 43 villes en Europe et au Moyen-Orient, dont Paris et Marseille, mais qui rencontrait certaines difficultés depuis plusieurs mois. De même, Bird avait mis la main sur sa rivale américaine Scoot en juin 2019 pour environ 25 millions de dollars. Cette acquisition a permis à Bird de revenir sur le marché lucratif de San Francisco, après en avoir été écarté en 2018.
Lime : Créée en janvier 2017 et basée aux Etats-Unis, Lime fait office de géant sur le marché de la trottinette en libre-service. Tout comme son concurrent direct Bird, Lime est largement présent aux Etats-Unis, dans une cinquantaine de grandes villes et une quinzaine de campus universitaires. En Europe, la firme s’est déployée dans une cinquantaine de villes. Elle a notamment remporté - au détriment de son concurrent Bird – les appels d’offres de Paris et de Londres, deux villes qu’elle partage avec Dott et Tier. Enfin, Lime est présent en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Corée du Sud, aux Emirats Arabes Unis, à Singapour, en Israël, au Chili et au Canada.
Toutefois, la firme est en difficulté depuis la crise de 2020 liée à la Covid-19. Lime s’est retirée de 11 grandes villes aux Etats-Unis (Atlanta, Phoenix, San Diego, San Antonio) et en Amérique latine (Bogota, Buenos Aires, Montevideo, Lima, Puerto Vallarta, Rio de Janeiro et Sao Paulo).
Ce désengagement -annoncé comme temporaire - s’est accompagné du licenciement de 14% de ses effectifs en avril 2020, soit une centaine de collaborateurs. A la recherche de nouveaux investisseurs, Lime a conclu dans la foulée un nouveau tour de financement bouclé à 170 millions de dollars et mené principalement par Uber. Depuis, Lime a absorbé Jump – la filiale de vélos électriques d’Uber – dans ses activités.
Lyft : La société américaine créée à San Francisco en 2012 est la principale concurrente d’Uber aux Etats-Unis sur le marché des VTC. Depuis 2018, Lyft s’est lancé dans une transformation en une plateforme multimodale. La société a fait l’acquisition de Motivate, le plus gros opérateur de vélos partagés aux Etats-Unis, et a également lancé son service de trottinettes électriques en libre-service.
Depuis, la société a progressivement intégré ses services de micromobilité dans son application, au côté des services VTC - qui restent tout de même au cœur de son activité. Ce virage vers la multimodalité rappelle la stratégie d’Uber, qui avait racheté en 2018 les vélos et trottinettes électriques Jump, avant de les revendre à Lime (voir ci-dessus). Lyft a déployé sa flotte de trottinettes électriques à Minneapolis, Denver, Washington DC, San Diego, Miami, Los Angeles, Santa Monica et au sein du campus universitaire de UCLA.
Spin : Fondée en 2016 à San Francisco, la start-up est la propriété de Ford depuis 2018. Largement présente aux Etats-Unis dans une cinquantaine de villes et une vingtaine de campus universitaires, Spin a pris du retard sur le marché européen par rapport à ses concurrents américains. La présence de Spin sur le Vieux continent a débuté en juin 2016 à Cologne. Depuis, l’entreprise s’est installée dans 17 villes allemandes, 7 villes anglaises et 2 villes espagnoles. Mais les ambitions affichées de la start-up de s’implanter en France n’ont pas abouti, Spin n’ayant été retenu dans aucun des appels d’offres lancés dans l’Hexagone.
Les challengers européens profitent du passage à des appels d’offres régulés
Bolt : L’entreprise estonienne créée en 2013 et spécialisée dans les services VTC a adopté - à l’image des géants américains Uber ou Lyft - une approche multimodale en intégrant à son application des services de trottinettes électriques en libre-service. Bolt, en pleine croissance, est l’un des leaders européens du marché. Ses trottinettes sont présentes dans une centaine de villes à travers l’Europe, notamment dans le nord-est du continent (Allemagne, Estonie, Norvège, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Lituanie, Lettonie, Suède, Ukraine, Russie) mais aussi à Bordeaux, Bruxelles ou Lisbonne. L’entreprise a l’objectif d’atteindre d’ici la fin de l’été 2021 une flotte de 130 000 appareils, ce qui la placerait en tête des opérateurs de micromobilité en Europe.
Dott : la start-up néerlandaise fondée en 2018, est présente uniquement en Europe dans une quinzaine de villes – en Allemagne (Bonn et Cologne), en France (Paris, Bordeaux et Lyon), en Belgique (Bruxelles, Liège et Charleroi), au Royaume-Uni (Londres), en Espagne (Malaga), en Italie (Monza, Milan, Rome et Turin) et en Pologne (Varsovie). Mais elle commence à s’imposer comme l’un des leaders du marché : elle a notamment remporté les appels d’offres de Paris – plus gros marché européen -, Lyon et Londres.
La stratégie de Dott est d’internaliser les tâches de maintenance, de réparation et de chargement des trottinettes. Pour cela, la start-up a créé des entrepôts dans plusieurs pays pour gérer localement les flottes qu’elle déploie. Elle dispose d’un entrepôt à Villeurbanne près de Lyon, à Rungis près de Paris, en Rhénanie pour desservir les villes de Cologne et Bonn, et dans toutes les autres villes où ses trottinettes circulent.
Voi Technology : la start-up suédoise est présente uniquement en Europe mais elle y est fortement implantée à travers une soixantaine de villes, notamment dans les pays scandinaves – 9 villes suédoises, 4 villes finlandaises, 4 villes danoises, 5 villes norvégiennes - et en Allemagne (15 villes dont Berlin, Munich et Francfort). La start-up est aussi installée dans quelques autres grandes villes d’Europe comme Bordeaux, Marseille, Milan, Rome, Séville, Berne, Zurich. A Bordeaux et Marseille, elle opère sous le nom de BlaBla Ride, partenariat entre Voi Technology et BlaBla Car.
Surtout, la firme a développé sa stratégie depuis 2020 autour du marché britannique, pays qui a autorisé en juillet 2020 les trottinettes électriques. Plusieurs villes du pays ont lancé des appels d’offre pour expérimenter le déploiement de cette nouvelle mobilité. Voi s’est vite positionnée comme l’acteur majeur au Royaume-Uni, en devenant le plus gros opérateur du pays. Bien qu’elle n’ait pas été retenue pour l’appel d’offres de Londres, elle s’est implantée dans une vingtaine d’autres villes dont Birmingham, Liverpool, Oxford, Southampton, Bristol, Bath, Cambridge…
Tier : La start-up berlinoise créée en 2018 est en plein essor. Tier a déployé sa première flotte de 400 trottinettes en juin 2019 à Berlin avant de s’étendre aux autres grandes villes allemandes : Hambourg, Cologne puis Francfort. Aujourd’hui, Tier est présent dans plus de 90 villes européennes – dont la moitié en Allemagne - réparties dans 11 pays d’Europe (Allemagne, France, Autriche, Suisse, Royaume-Uni, Suède, Danemark, Finlande, Norvège, Pologne et Slovaquie). La start-up s’est même lancée au Moyen-Orient en déployant une flotte d’appareils à Dubaï en octobre 2020 puis à Doha en mars 2021.
La stratégie de Tier est de déployer rapidement de petites flottes de trottinettes (entre 600 et 700) dans un très grand nombre de villes. Mais l’opérateur a également décroché de gros appels d’offres dans des villes-clés du marché européen : Paris et Londres – qu’elle partage avec Dott et Lime. Tier déploie déjà 5 000 appareils à Paris et dispose à Londres d’une expérimentation d’un an pour développer progressivement sa flotte avant de s’y installer – peut-être – définitivement.
On notera aussi le rachat par Tier en février 2020 des 5 000 scooters électriques de Coup, ainsi que de son infrastructure de recharge. L’opérateur de scooters électriques Coup – filiale de Bosch – avait cessé ses activités en novembre 2019. Avec ce rachat, Tier est devenu une plateforme multimodale, proposant sur son application, trottinettes et scooters électriques. Cependant, les scooters de Tier n’ont pour l’instant été déployés qu’en Allemagne à Berlin, Munich et Cologne.
Pony : Fondée en 2017 à Angers, la start-up française de vélos et trottinettes électriques en libre-service se démarque de ses concurrents par une stratégie inédite et participative où l’utilisateur peut aussi être investisseur : Pony n’est en effet pas propriétaire des appareils qui composent sa flotte. S’il les met à disposition et en assure la gestion, ces derniers sont financés par des particuliers qui perçoivent 50% des recettes sur chaque trajet effectué par un autre utilisateur avec l’appareil qu’ils possèdent.
Candidat pour l’appel d’offre parisien et grenoblois, les trottinettes électriques Pony n’ont pas été retenues mais la start-up a obtenu l’autorisation d’y déployer une flotte d’environ 500 vélos électriques dans chacune des deux villes. Du côté des trottinettes, Pony est présent à Angers, Bordeaux, Bruxelles, Liège, Oxford et est en train de s’installer à Lisbonne, Namur et Turin.
En attendant l'outsider singapourien
Neuron Mobility : Fondé en 2016 à Singapour, Neuron Mobility y a lancé en Asie en 2017 le premier service de trottinettes électriques en libre-service. Après quelques expérimentations dans des villes d’Asie du sud-est, l’entreprise s’est concentrée sur le marché australien et néo-zélandais, où elle est maintenant leader. Ces deux pays sont particulièrement propices au développement de la trottinette électrique grâce aux infrastructures, à la régulation, au niveau de vie élevé des utilisateurs et à la popularité des activités en plein air. Neuron est présent dans une dizaine de villes australiennes (Adelaïde, Brisbane, Darwin, Canberra…), en Nouvelle-Zélande (Auckland, Dunedin, Hamilton), en Corée du Sud (Séoul, Ansan), au Canada (Calgary, Ottawa, Red Deer) et au Royaume-Uni (Newcastle, Slough, Sunderland).